DOSSIER DE TRAÇABILITE N°3/6
C’est dans nos rues que Lor-K agit avec les objets de notre quotidien. Ceux qui, qualifiés de déchets, sont récupérés et mis en scène par ses soins. Déjà l’auteur d’une dizaine de projets artistiques, Lor-K ne cesse de diffuser sa pratique aux yeux des autres. Avec ses installations réalisées à base d’encombrants, elle laisse son emprunte sur nos trottoirs par les volumes qu’elle transforme directement sur place. Alors que la plupart des artistes urbains se soucient peu de l’avenir de leur activisme, Lor-k souhaite souligner l’importance que prend l’archivage dans sa démarche. C’est avec son « Dossier de traçabilité N°3/6 », livre-objet qui retranscrit son intervention au 32 rue des Francs Bourgeois à Paris, qu’elle donne une continuité pérenne à son travail. Comme elle cherche à le démontrer, l’art urbain n’est pas cantonné à l’aspect éphémère. Non limité en un rôle décoratif ou illustratif, il est aussi porteur de sens par une remise en question du contexte actuel. Il a, selon elle, vocation à être archivé pour pouvoir être transmis dans le temps.
Pour son projet « Vente Flash ! » mené en 2013, six interventions furent réalisées en un seul et même jour : le Lundi 1er Avril. De ses actions urbaines est née une série de 19 œuvres uniques et originales, dont le « Dossier de traçabilité N°3/6 ». Conservé dans une valise de retranscription, l’intégralité du projet se dévoile alors par la découverte des œuvres qui la compose. Soigneusement organisée, chaque pièce peut alors quitter son entre pour parcourir de nouvelles mains…
De petites dimensions (80x47x18 mm), le dossier est constitué de 80 photographies de taille carrée (47×47 mm) qui retracent, à intervalle régulier, l’intervention réalisée sur une table basse abandonnée. Comme une sorte d’observation distante, les 80 photographies du « Dossier de traçabilité N°3/6 », retracent l’action par une accumulation de plans fixes. Imprimées sur papier épais mat, elles sont reliées à l’italienne par un système de vis-écrou, qui porte l’indication « 3 » en son sommet. Les tranches de chacune de ces pages ont été surlignées d’un rose fluo. La couverture est composée de deux pages interdépendantes : une forme étoilée a été découpée sur la première de couverture dans un papier PVC noir, dévoilant une seconde page, de couleur jaune, avec en son centre le titre du projet « VENTE FLASH ! » en lettres capitales.
Sous la forme d’un nuancier, les pages du dossier glissent en éventail sous nos doigts. Prise en main par un feuilletage accéléré, l’action prend vie à la manière d’un Folioscope. On peut se remémorer cet instant révolu, ou bien le découvrir pour la 1er fois comme si on aurait pu y assister. On observe, étape par étape, les images de l’intervention. Lor-K en pleine action : elle trouve la table, puis la nettoie sous le regard des passants étonnés, elle délimite son espace d’intervention, crée un socle noir, replace la table devenue sculpture à observer sur son piedestal, et enfin appose une signalétique clinquante, à la manière des étiquettes maréchaires « VENTE FLASH ! », « À SAISIR », « 999€ ». Autour de cet espace ainsi créé, elle attire notre regard sur cette table auparavant discrète. Par ce geste, elle transforme l’objet délaissé, gratuit, en attente d’être repris ou détruit, en objet tout à coup désirable, attirant, valorisé et monnayable même. Ce changement de statut soudain nous pousse alors à réfléchir sur l’aspect lucratif que revête certaine forme d’art. Entre consommation et commercialisation, chaque intervention prend le contre pied d’un art urbain aujourd’hui démystifié et vendu au plus offrant. À la fin du dossier, on trouve une page qui indique le titre de l’œuvre, la nature du document, l’auteur par sa signature et son cachet, la date et le lieu de l’intervention. La dernière de couverture est une feuille noire de même nature que la première. Le haut de la reliure dispose d’une chaînette prévu pour l’accrochage en lieu d’exposition.
Le dossier est conservé dans une boîte-vitrine cubique (94x94x94 mm) qui permet un stockage sécurisé dans la valise de retranscription. Composée de deux bandes de plexiglass transparent thermo pliées, la boîte s’ouvre par glissement des morceaux emboîtés. À l’intérieur, une pièce de mousse, dont les surfaces ont été recouvertes d’un papier noir, sert de socle au dossier. On peut apercevoir dessus, le cachet Lor-K en cire et le chiffre 3 écrit en blanc. Plus haut un peu décentré, on trouve une découpe rectangulaire dans la mousse qui permet le maintien à la vertical du dossier.
Le tout est géométrique, avec des formes cubiques et rectangulaires, qui s’encastre par un agencement des matières. Les couleurs fluo et le polygone étoilé contraste avec l’aspect rigide des lignes radicales de l’œuvre. Notre regard est alors guidé vers ce point central, Vente Flash. Le « Dossier de traçabilité N°3/6 » reprend les codes de l’intervention extérieure : charte chromatique, socle noir, délimitations… Sous sa cloche de « verre », le dossier-témoin en exposition manipulable, se retrouve en vitrine, intouchable, attisant curiosité. L’objet acquière alors un changement de statut comparable à la table abandonnée. Le dossier devient oeuvre. Par sa mise en scène soignée, un témoignage enchaîné se dévoile. Emprisonné, figé, insaisissable, les souvenirs d’un Lundi 1er Avril se trouvent matérialisés pour être transmis et partagés…
Ecrit le 03/07/2015 par Jade HECQUET pour le label NAU. Publié le 14/10/15
EN LIEN AVEC CET ARTICLE
ŒUVRES ⇒ Liste des œuvres enregistrées pour ce projet
EXPOSITION ⇒ Soirée d’inauguration – Vente Flash
SITE DE L’ARTISTE ⇒ http://www.lor-k.com/