CREATION D’UNE EXCEPTION AUX DROITS D’AUTEUR
Nous défendons l’idée que la rue n’est pas un musée à ciel ouvert et encore moins une toile vierge. Notre propos est clair : La rue n’abrite pas des œuvres (sauf si nous nous cantonnons aux œuvres publiques ordonnées par des commanditaires). L’artiste urbain ne se dévoile pas tant par ce qu’il laisse dehors mais plutôt par ce qu’il garde de son expérience extérieure. Du Land art qui utilise la trace, au Ready-made qui use des objets quotidiens ou encore aux Situationnistes qui prônent l’investigation du réel, nos prédécesseurs auront permi l’émergence des arts de rue. Marqué par un activisme et une pratique de l’exposition affirmée, le Nouvel Art Urbain se nourrit de nombreuses influences mêlant Art contemporain et Street-art. Cette nouvelle forme d’art s’inscrit alors clairement dans l’histoire de l’art comme une continuité inattendue.
Immiscé dans nos espaces de vies, l’artiste nous bouscule et nous pousse à développer un nouveau regard sur nos lieux communs. En écho au monde actuel, ses actions trouvent pertinence par leur intégration au réel. Le contexte devient alors parti intégrante de la composition imaginée par l’artiste. Positionnement géographique, temps météorologique, période historique, constructions, passants, sont autant d’éléments qui deviennent matières de l’expérience artistique. Suivies d’une phase de retranscription assidue, les traces collectées par l’artiste offrent alors une vision précise et personnelle de son investigation. Une mise en lumière de l’expérience urbaine par l’exposition du souvenir, révélant ainsi à postériori son impact dans le réel. De ces pratiques d’un nouveau genre est né le Label NAU. Il s’agit pour nous de valoriser ces artistes qui développent une « post production » engendrée par leurs actions de rue. Auparavant considérés comme simples éléments de recherches, photographies, vidéos, sculptures ou encore écrits acquièrent maintenant le statut d’œuvre : c’est l’intégration de la retranscription dans le processus artistique. A ce jour comme tous les artistes enregistrés à l’ADAGP (société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques), les artistes urbains voient leurs créations extérieures protégées par les droits d’auteurs. Considérées par la majorité comme œuvres et légitimées en tant que telles, ces créations sont concernées par l’ensemble des droits patrimoniaux reconnus aux auteurs :
« L’ADAGP gère l’ensemble des droits patrimoniaux reconnus aux auteurs (droit de suite, droit de reproduction, droit de représentation, droits collectifs), pour tous les modes d’exploitation: livre, presse, publicité, produits dérivés, enchères, vente en galerie, télévision, vidéo à la demande, sites internet, plateformes de partage entre utilisateur. Elle est aujourd’hui devenue, grâce à la richesse et à la diversité de son répertoire, l’une des plus importantes sociétés d’auteurs au monde »
Toutes les transactions commerciales impliquant la création extérieure sont donc considérées comme exploitations de propriété intellectuelle. L’artiste est alors rémunéré par l’utilisateur selon une grille tarifaire pré établie. Dans le cas où la reproduction est aussi une création de l’artiste (ex : l’artiste prend lui-même les photographies de ses créations urbaines), une double commission s’appose. L’une pour la représentation de la création extérieure et l’autre pour l’utilisation de la photographie. Cette situation bénéfique pour de nombreux artistes est en passe de changement. Le courrier envoyé récemment par l’ADAGP annonce les prémices d’éclaircissements juridiques ordonnés par la secrétaire d’Etat chargée du Numérique.
Ce projet de loi questionne clairement le statut des créations extérieures. L’ADAGP apporte son soutien aux artistes par une opposition ferme. De notre côté, bien que nous ne puissions pas nous réjouir de la suppression de certains droits, il faut admettre que le sujet est sensible… Lorsqu’un artiste décide de poser dehors et d’abandonner sa matière première sur son lieu d’action, peut-il réellement s’opposer à sa réappropriation ? Bien que la proposition émane d’un individu (dit l’artiste auteur) l’art urbain reste le premier courant dans l’histoire de l’art à offrir une expérience artistique sans la nécessité d’une sacralisation. Là réside certainement tout l’impact et le pouvoir premier des arts de rue. Considérer ces créations d’un nouveau genre comme des œuvres d’art nous poussent à les confondre systématiquement avec l’art contemporain, le muralisme ou encore même l’académisme déjà historiquement révolus. Dans ce sens, il est pour nous contradictoire de s’opposer à ce projet de loi.
Indépendante et totalement autonome, la création extérieure attire par son implantation fortuite. Suscitant les regards et jouissant d’une visibilité immédiate, son abandon en espace public dépossède l’artiste de sa création. Offerte à la rue, est-il si facile de renier les actes créateurs engendrés par la proposition ? Du décolleur d’affiches au photographe de fresques, ces nouvelles techniques développées par des tiers ne prennent-elles pas l’allure de nouveaux actes créateurs ? Ces pièces naissantes d’interprétations d’autrui n’offrent-elles pas une lecture complémentaire de l’expérience urbaine ? Font-elles peut être même parties du processus créatif à l’initiative de l’artiste urbain ? Quoiqu’il en soit, l’intérêt de développer une problématique alliant activisme urbain et retranscription prend aujourd’hui tout son sens. Bien que l’artiste puisse se trouver dépossédé de sa composition extérieure, il ne peut pas se voir retirer les droits concernant l’exploitation des traces qu’il en garde.
Néanmoins ce projet de loi reste dangereux et dévalorisant pour de nombreux artistes œuvrant en extérieur. Les dérives commerciales et les utilisations abusives peuvent nuire au développement des artistes et de leur démarche. Les incitants souvent à se réfugier dans la commande, ce genre de mesures empêche ainsi davantage l’émergence d’un art libre et spontané au profit d’un art dit de divertissement. L’art urbain initialement émancipé des contraintes académiques et juridiques arrivera-t-il à se protéger contre les abus et les fraudes ? Quand sera-t-il des utilisations qui dévalorisent le propos de l’artiste, en surpassant sa propre visibilité ? Comment réagir face à cette « liberté de panorama » ? Ce type de dispositions économiques et draconiennes perpétue le musèlement des artistes de rue déjà en cours. Créée spécialement pour eux, une « exception » aux droits d’auteur qui valorise la récupération commerciale, nous prouve la carence de crédibilité accordée aux artistes urbains. Dans cette loi, notre seul regret reste l’absence de nuances concernant l’intégrité intellectuelle des artistes face à l’utilisation industrielle de notre patrimoine culturel… (sans grand étonnement!)
EN LIENS
ADAGP, Qu’est que l’ADAGP ?, daylimotion.com, 2012
ADAGP, Exception de panorama, droits d’auteur en danger, adagp.fr, 2015
Christophe Genin, Le street art au tournant, les impressions nouvelles, 2013
Claire Chauvins, les paradoxes juridiques du street art, marketing et territoire.fr, 2014